mardi 30 mai 2017

Simply being alive has been rough



Je frémis en la voyant aligner les lignes et réciter à voix haute "oh et puis on va vérifier ça et puis ça aussi."
Je pâlis, beaucoup, mais je suis déjà translucide, alors j'imagine que ça se voit pas tant.
Elle me regarde avec un grand sourire, comme si écrire des ordonnances était sa plus grande passion, et me dit "Il y a autre chose que vous voudriez ajouter aux analyses ?"
J'écarquille les yeux et me demande si elle me confond avec une de ses patientes qui aurait fait médecine. Devant mon mutisme, elle ajoute : "Comme... la sérologie, par exemple ?"

"Oh. Oh bah. Oh bah oui. C'est pas co... C'est pas mal comme idée."
Elle voit mon regard vague et mon sourire contrit, je sens que je vais me faire cuisiner sur ma vie sexuelle à notre prochain rendez-vous.

Je sors en la remerciant. Je lutte entre bouffée d'angoisse à l'idée de la prise de sang et soulagement d'être enfin au pied du mur pour aller faire ce putain de test.

Faut dire que je n'ai pas été aidée par la vie : à chaque fois que j'avais attendu assez longtemps pour que le test soit fiable, un autre irresponsable me faisait prendre des risques à l'insu de mon plein gré et on repartait pour 2 à 3 mois d'attente avant de passer sous l'aiguille.

J'entre dans la première pharmacie que je croise pour aller chercher les anti-dépresseurs pour lesquels je dois justement faire cette prise de sang en premier lieu.

La fille à la caisse me regarde de travers puis tousse et va attraper sa chef par le coude. Elle lui montre l'écran. La chef se saisit discrètement de ma carte vitale et la met hors de portée avant de me lancer d'un ton dédaigneux : "Vous l'avez perdue votre carte ?" J'ai envie de lui répondre que Non, à l'évidence. Mais je dois juste sortir un "Bah non", avec ma verve habituelle quand il s'agit de discourir avec des inconnus. 

"Parce qu'elle est sur la liste d'opposition là." 
"Ah bah je sais pas quoi vous dire."
"Bah vous allez devoir payer."
"Bah oui."
"Bah ça fera 7€"
"Bah voilà."

Les deux sont étonnées que je sorte l'argent sans discuter, du coup elles me filent quand même une feuille de soin. Je sors dans la rue en me disant que je suis pas aidée, quand même. 

24h d'angoisse plus tard, je me réveille et titube jusqu'au Labo, parce que j'ai pas mangé depuis 15h.
Là-bas, j'entre sans qu'on me salue, je prends un ticket et vais m'asseoir. L'attente est longue, je semble invisible. Dans ces moments là, ma conscience s'impose à moi. En l'occurrence, la question qui me frappe de plein fouet c'est "Comment t'en es arrivée là ?"

Et les images défilent.

Le malotru qui ne m'a pas signalé le problème technique rencontré avec le préservatif.
Celui qui m'a violée.
Et, enfin, celui qui a décidé unilatéralement de pas en mettre.

Trois prises de risque. Une prise de sang. 6 tubes à essai. 
La réminiscence de cette infirmière bazooka, dans ma prime jeunesse, qui m'a défoncé le bras et traumatisée à vie.

L'infirmière d'aujourd'hui me reçoit, me questionne. Elle est sympa d'abord, puis je lui explique qu'on veut vérifier que mes reins vont bien avant de commencer le traitement. Au mot "anti-dépresseurs" son visage se ferme, son air se durcit et elle devient plus brusque. 
Je la préviens que je suis chiante et que je préfère qu'on me pique dans la main. Hashtag trauma.
Elle me dit que c'est la meilleure façon pour qu'elle me rate et là je comprends qu'on n'est plus copines.

Elle me rate en effet deux fois avant de laisser tomber et d'appeler une collègue. 
Une infirmière plus âgée, au visage apaisant et rieur entre alors. On s'explique et elle me dit "la prochaine fois dites à l'accueil que vous êtes difficile, hein, ils vous enverront quelqu'un comme moi".
Je sais plus trop quoi dire. Elle me fait le garrot, positionne ma main.... et c'est fini en un clin d'oeil. 
Je n'ai rien senti ou presque.
Je pourrais l'embrasser et lui sortir tout le bien que je pense des infirmières mais elle me houspille dehors.

Je zigzague jusqu'à l'appartement, m'écroule sur le canapé. Molly Brown vient renifler les odeurs de désinfectant sur ma main et s'apprête à me nettoyer. Je la blottis contre moi et je lance une série quelconque en attendant de retrouver des forces.

2h après je reçois un mail : vos analyses sont disponibles.

Je fais défiler les résultats. J'ai rarement eu un carnet de note aussi brillant. A part la vitesse de sédimentation : je checke vite fait ce que ça veut dire sur Doctissimo (Tumeur, Cancer, Diabète, Peste Bubonique) puis me ravise et vais sur PasseportSanté (Infection légère, Anémie, grossesse)

J'annonce le résultat aux copines, qui se mettent à choisir le prénom de mes jumeaux (parce que deux, c'est mieux, et qu'au pire si c'est une tumeur, je pourrais la baptiser aussi), je regarde la boîte de médocs qui me nargue, je vérifie une dernière fois l'ultime ligne :

"VIH : négatif."

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