jeudi 18 juillet 2013

Misery

 Il y a quelques semaines, en relisant Les Misérables, j'ai pris conscience que s'il était arrivé dans notre service des manuscrits, je l'aurais sûrement refusé. Depuis, mon cerveau a déformé, détourné, amplifié ça, et, aujourd'hui, s'est mis à s'imaginer ce qui suit :

"Allo oui Victor ? C'est Johnson. Tout va bien à Villequier, la Seine est bonne ?
Je t'appelle au sujet du manuscrit que tu m'as envoyé le mois dernier.
"Les Misérables" oui.
Bon, comme tu t'en doutes, le titre provisoire est un brin trop négatif pour nos lecteurs, hein, faut pas leur faire peur. Donc je te propose un truc simple, qui parle aux gens, auquel on a envie de s'identifier : "Marius & Bella". Ca claque non ? Ca fait Pagnol. Ca sonne bon la France, toussa.
Pourquoi "Bella" ?
Parce que "Cosette" franchement... Autant les "Gavroche" et les "Eponine" ça passe parce que c'est du second plan mais "Cosette" pour le lead féminin, seriously Victor ? Seriously ?
 Et Bella ça marche bien, mais si t'aimes pas on peut tabler sur du Ana, ou du Aria, enfin, un truc court en "A".
Mais c'est pas le sujet de mon appel, non, parce que tu te doutes bien qu'envoyer un  manus' de 513 000 mots en pleine crise c'est pas hyper "réaliste" pour un roman... réaliste.
Donc, du coup, ce que je te propose, c'est que les conneries avec Fantine qui court après ses dents, on se les garde sous le coude pour en faire un préquel si le roman décolle bien. Et on recentre sur Maurice.
Marius ?
Marius donc, qui flashe sur Ana-Bella-Cruchette et qui se fait gauler par le daron. Et on resserre le tout. Ca prend trop de temps à se mettre en place leur love-story là, et puis c'est bon "pas avant le mariage" c'est pas Valjean qui va aller vérifier si ? Alors leur échange d'émoi dans le fond du jardin tu me transformes ça en scène de cul.
Mais non t'as pas besoin de changer le décor ! On peut faire plein de trucs à travers une grille. Je t'expliquerai pendant le rewriting. Ou je t'emmènerai à Pigalle.
Et pendant qu'on y est, tu me coupes cet ignoble passage dans les égouts parce que, déjà, les égouts : NON, mais en plus ça dure 30 pages. Qui a envie de lire ça ? Tu te poses la question quand tu écris ? Tu crois que ton public, il aime quand tu traînes tes héros chatoyant dans le caca parisien ? C'est pas bon pour l'identification ça, Vic'. Tu penses pas assez "identification du lecteur" quand tu écris, je te l'ai déjà dit.
Et puis ton club de minets là, ouais, l'ABC. Pourquoi t'as besoin de 15 personnages quand deux suffisent ?  Alors Enjolras, il est cool, on le garde. Mais va falloir apprendre à trancher hein mon vieux : il est gay ou il est pas gay ? Il fricote avec Grantaire ou il se touche la nouille sur Marianne seulement ? Parce que ces sous-entendus "j'y vais j'y vais pas" c'est dépassé. Et tu sais quoi, quitte à y aller, attends, j'ai une idée là. T'es prêt ?
"MARIAGE GAY SUR LA BARRICADE"
Ca c'est militant, ça c'est un acte de révolte bordel ! Parce que "Hey les gars, si on mourrait pour rien, juste comme ça, parce que c'est l'été et que comme toutes les grosses feignasses d'étudiants dans le supérieur on n'a rien d'autre à foutre que faire chier le monde et boucher les grande artères", ça va 5 minutes. Personne n'y croit. Des jeunes gens bien gaulés hyper horny - non parce que tu me feras pas croire qu'ils montent la barricade rue Saint-Denis par hasard - qui ont fait des études de droits et qui ont des carrières toutes tracées de juristes dans la finance à la Défense balancent tout au nom de la France ?
On est à l'ère du lip-dub de l'ump, je te rappelle. Le sacrifice patriotique ça fait plus rêver personne.
Oh et un autre truc. Ca te gêne pas de promouvoir la délocalisation dans l'industrie textile ? Tu veux que les syndicats autodafent nos services de presse ou quoi ? Monsieur Madeleine il peut pas se casser comme ça et laisser ses ouvrières dans la dèche juste parce qu'il a un petit problème de conscience avec Dieu. Alors tu me le fais aller à confesse, réciter trois Ave Maria à Notre-Dame de Paris et basta. Il peut continuer à être membre du comité d'administration depuis son bureau rue Plumet, ça change pas grand-chose à la trame.

Non, vraiment, Victor, je te le dis parce que je suis ton éditrice et que je veux sincèrement ce qu'il y a de mieux pour toi et pour ton livre, mais je crois que sur ce coup-là, tu t'es compliqué la vie."


1 commentaire:

  1. respect ! je vais relire l'original quand même avant qu'il ne soit modifié
    merci pour ce moment de rigolade et d'effarement

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