mercredi 8 août 2012

It's the best thing that you ever had


[The best thing that you ever, ever had]

J'avais 15 ans. C'était l'été de la canicule. L'été entre la seconde et la première. 
L'été de la peur primaire de ce qui m'attendait. L'été d'avant l'amour qui ravage. 
Le dernier été de mon grand-père. Le dernier été sans Internet.

Ce livre là, je suis allée le chercher dans l'ancien Virgin de Rouen localisé lui même à l'emplacement de l'ancienne Fnac. Je ne roulais toujours pas sur l'or, mais toujours assez pour fureter parmi les livres pendant que ma mère avait le dos tourné.

Je crois que les cours n'étaient pas tout à fait terminés, mais, en tant que seconde, on prétendait aller en cours pour plutôt trainasser dans les salles vides. Dernière année sans examens. Premiers instants de liberté pour moi. Prendre le bus quand même. Dire au revoir aux amis qui s'éclipsent dans des filières lointaines.

Vous savez, ceux qu'on se promet de revoir.

Bref, c'était le dernier été avant l'apocalypse. 

J'ai parcouru les éditions. Je savais que je voulais ce livre. Mais il y en avait trop. Et même dans les moins chers.

J'ai finalement pris celui qui était disséqué par un professeur rouennais - autant pour être sûre d'y comprendre quelque chose que par régionalisme.

Le plus affreux. Une couverture rose et un portrait atroce de jeune homme ignoble complétement suranné. 

Mais j'étais motivée. Ce serait ma première incursion dans l'oeuvre pour adulte d'un auteur que j'appréciais de loin.

Dans la queue pour les derniers repas à la cantine, tout le monde me demandait ce que pouvait être ce bouquin et pourquoi je lisais ça. Une amie proche me l'a même confisqué pour finalement l'abandonner. 

J'ai été subjuguée par le prologue. Puis les vacances sont arrivées et j'ai tout fait sauf lire. 

Il était là, il attendait, posé sur la table de chevet de ma chambre d'enfant - c'était l'été avant la chambre d'ami.

Et puis, une nuit, pour ajouter à la chaleur on m'avait demandé d'héberger mon neveu aîné. Impossible de trouver le sommeil.

J'ai rallumé une lumière aveuglante qui n'a pas fait ciller le gamin. Lui était en sueur et ronflait.

Accablée et les yeux grand ouverts je n'avais pas d'autre alternative, j'ai empoigné le livre : il me restait un peu moins de la moitié à parcourir. 

Je l'aimais vraiment beaucoup, le livre, et je ne voulais surtout pas le lire d'un coup et me goinfrer. Mais cette nuit ne m'a pas laissé le choix.

Je l'avais entre les mains. J'ai regardé la couverture laide. J'ai caressé la tranche.
Je l'ai retourné pour l'ouvrir. Rien ne m'a choqué.

J'ai commencé à lire, j'étais maintenant tout à fait réveillée, et j'ai terminé le livre sans vraiment m'en rendre compte.

Le coeur battant, il devait être 4h du matin, je l'ai refermé. C'est alors que j'ai vu quelque chose d'inexplicable : là où mon doigt s'était posé pour ouvrir le livre, là où il n'y avait rien qu'une tranche des plus classiques, trônait maintenant une tâche de sang séché pas plus grosse que le bout d'un index. Et sur mes mains : aucune plaie.


C'était l'été de Dorian Gray.



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